Libye: Vers un réequilibrage des forces
Le conflit libyen, du fait de la multitude des acteurs, est passé d’un conflit de faible intensité comprenant des acteurs locaux à un autre affrontement dans lequel intervient d’une part la Turquie aux côtés du Gouvernement d’Entente Nationale (GEN) et d’autre part, l’axe Emirato-égyptien aux côtés de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) sous les ordres du maréchal Khalifa Haftar.
Située à 125 km au Sud-Ouest de Tripoli, La prise de la base aérienne d’al-Watiya constitue, après celle de la ville de Gharyan en juin dernier, le deuxième revers stratégique pour les troupes du maréchal Haftar. Cette prise illustre la transformation de la GEN initialement une force hétéroclite composée de groupes paramilitaires aux intérêts souvent opposés, ayant pour rôle de défendre la capitale, en une force mieux coordonné qui, à l’aide d’un allié de taille comme la Turquie, dispose désormais d’un centre de commandement commun ainsi que de capacités militaires offensives (déploiement de drones armés du type Bayraktar TB-2 ou plus récemment de l’Anka-S).
Pour l’ANL et ses alliés régionaux, ce revers stratégique est synonyme d’une importante recomposition au niveau militaire. De ce fait, le groupe russe paramilitaire Wagner, considéré comme le fer de lance lors de l’offensive tripolitaine, se replie vers le centre et l’est du pays causant ainsi, un rétrécissement des capacités terrestres. Parallèlement, l’ANL procède au renforcement de ses capacités aériennes grâce à l’arrivée des MiG-29 à la base d’Al Jufra.
Cette réorganisation militaire n’est pas sans conséquences sur le plan géopolitique. De ce fait, la Russie, principal fournisseur de services, à travers Wagner, pour le compte de l’ANL et de ses alliés régionaux devient alors un acteur capable de dessiner les contours de la nouvelle ligne de front. Ce statut conférerait, sur le moyen terme, à Moscou la capacité de négocier avec la Turquie d’Erdogan un potentiel accord de cessez-le-feu. Le passif entre les deux nations, notamment dans le cadre de la crise syrienne, renforcerait cette probabilité.
Le nouveau rééquilibrage des forces sur le terrain libyen devra compter sur un changement réel d’attitude, dont la probabilité est non nulle, de la part de Washington. Le communiqué de l’US Africa Command dénonçant les « actions malignes russes » et avertissant d’une possible installation de « capacités A2/AD » (Déni d’accès et d’interdiction de la zone) pouvant constituer « une menace sécuritaire très sérieuse sur le flanc sud de l’Europe » est sans doute un signal d’alerte de la part du Pentagone qui, comme le Département d’état, s’inquiète du rôle russe grandissant sur la scène libyenne.
Ce rééquilibrage reposera aussi respect des lignes rouges en cours de définition. Ainsi, toute utilisation agressive par l’ANL de ses nouvelles capacités militaires pourrait entrainer un nouveau cycle d’escalade. L’intervention turque, motivée par les intérêts stratégiques, suite à la signature de l’accord maritime avec le GEN , vise avant tout un rééquilibrage des forces qui devrait entrainer un accord politique. Néanmoins, la faible viabilité économique de la tripolitaine rend probable l’extension de la campagne militaire vers l’est (croissant pétrolier) ou le sud ( Fezzan).
La France, dont le rôle libyen se confine au domaine diplomatique, se trouve de fait peu influente et reléguée derrière les acteurs plus virulents sur le plan militaire. Dans ce contexte, l’ambassadrice Béatrice Le Fraper du Hellen cherche à cultiver l’image, officiellement affichée, de neutralité et de bienveillance françaises à l’égard de Tripoli bien que le positionnement réel de Paris se situe, dans le cadre d’une posture traditionnelle, du côté de ses alliés stratégiques au Golfe et plus particulièrement des Émirats Arabes Unis.
Ainsi, un regain d’influence française passera forcément par une restauration réussie et persuasive de cette image de neutralité diplomatique.